Peut-on soigner les auteurs de violences sexuelles, alors même que le soin est ordonné par la justice, qu’ils n’ont que très rarement conscience de leur souffrance et de leur dysfonctionnement psychique et que très souvent ils ne formulent aucune demande de soins ?
C’est un questionnement récurrent chez de nombreux soignants de la psychiatrie avec un changement de paradigme, tant ce dispositif (soins pénalement ordonnés) est éloigné de leur méthodologie de travail habituelle. De plus ces mêmes soignants ont l’impression que cette injonction s’adresse à eux plutôt qu’au patient, et refusent à reconnaitre à la justice une quelconque légitimité pour prescrire le soin.
Or lorsque le juge, pour qui le soin est bien étranger à sa pratique, ordonne une injonction de soins ce n’est absolument pas en tant que spécialiste du soin : il part du postulat que la répression à elle seule ne parviendra, ni à expliquer ni à corriger durablement le comportement du sujet et qu’entrera peut-être en ligne de compte une autre dimension : le soin qui associé à la répression offrira au patient une opportunité d’ introspection et d’élaboration autour de son acte afin de ne pas le réitérer. C’est à ce titre qu’il s’en remet aux soignants.
Nous savons que les sujets AVS ont une mauvaise définition de leurs limites psychiques confinant parfois à la psychose. Cette difficulté entraine une mauvaise reconnaissance de l’altérité. Ils connaissent des déficits multiples (affectifs, émotionnels, habiletés sociales), des carences précoces (traumatismes) des défenses archaïques (clivage, déni) et le passage à l’acte participe de leur régulation psychique.
Les soignants, confrontés à la violence et à l’impensable de tels actes, auraient parfois une propension à qualifier ces patients de « pervers », ce qui supposerait qu’ils seraient inamendables et inéducables. Or comment serait-il possible de proposer un soin dans un tel contexte ?
Tout d’abord il convient d’interroger nos propres représentations à propos des AVS, souvent infiltrées par des considérations morales empêchant de s’arrimer à une posture professionnelle stable, offrant la possibilité d’une rencontre avec ces patients. Il est nécessaire de favoriser le questionnement éthique, et la circulation de la parole parmi les soignants, afin de tenter de circonscrire autant que faire se peut, les mouvements de fascination, de sidération et de rejet. Il apparait opportun, dans la mesure du possible, de permettre et de s’autoriser la rencontre avec ces sujets, de leur proposer un environnement favorable à la psychisation en ne perdant pas de vue que les conduites déviantes sont des stigmates de processus adaptatif à un environnement défaillant.
Il est primordial d’offrir à ces patients un environnement qui protège de l’emprise et autorise la régulation des excitations pour lesquels ils n’ont acquis aucun moyen interne de régulation.
Ces sujets sont sous le régime psychique non pas du retenir pour représenter, mais du décharger pour survivre. L’injonction de soins par voie pénale va les placer dans une nouvelle configuration : elle va les forcer à retenir et donc à se retenir. En matière de judiciarisation d’agressions sexuelles, le soin et la surveillance sont des partenaires indissociables. La loi se constitue comme un cadre externe, un méta-cadre sur lequel l’action thérapeutique va s’appuyer pour à son tour déployer son propre cadre. La question de la demande revient souvent dans le discours des soignants pour ces individus. Cependant attendre qu’une demande se formule consiste à replacer ces sujets dans un environnement effractant qui exige d’eux ce qu’ils n’ont pas ou (pas encore), les moyens de mettre en forme. Cela a comme effet « pervers » de leur faire produire de faux discours qui ne sont que leurs tentatives d’adaptation à un environnement trop exigeant qu’ils tenteront de manipuler et de mettre sous emprise. Il ne s’agit pas, dans ce contexte, d’attendre une demande mais de permettre au sujet d’en constituer une. Le travail thérapeutique se situe dès lors dans le temps de l’avant demande. Voilà le chemin thérapeutique qu’il conviendrait de parcourir.
Le médecin coordonnateur a une fonction essentielle dans le cadre de la prise en charge, car au-delà de son rôle d’auxiliaire de justice, il a un rôle de protection directe du soin exercé par le praticien traitant.
Il est donc permis et possible de prendre en charge les patients AVS, dès lors que le cadre interne (le soin) vient s’étayer sur le méta-cadre (la justice) tout en déployant son propre cadre. La qualité de l’accueil est fondamentale, elle permet pour utiliser une métaphore éthologique un « apprivoisement mutuel », de s’adapter au rythme du patient dans un accordage harmonieux, afin de venir progressivement forcer le masque du déni. Ce « mantèlement environnemental » favorisera la réassurance, et la contenance et permettra une rencontre, qui constitue souvent le premier accès aux soins ou viendra progressivement se déployer la parole.
Nordine Abderrahmane, infirmier CRIAVS Rhône-Alpes, Délégation de Lyon